Analyse d'idée claire

Écrit le 10 mars 2021

Note aux lecteurs : Comme pour ma première analyse, j’attire votre attention sur le fait que celle-ci aussi, était avant tout destinée à une lecture privée au moment de sa rédaction. Le ton y est donc volontairement, encore une fois, assez familier. L’analyse est conservée telle quelle par soucis d’authenticité, afin que la méthode liée à l’écriture de cette analyse, soit également visible comme à l’origine. J’aimerais également apporter comme précision, le fait que cette analyse est la deuxième que j’ai écrite pour Youm et comme il s’agissait encore de faire des essais, le format est différent par rapport à la première, rédigée de manière linéaire.

> Introduction :

Dans cette analyse :nous allons essayer de condenser nos réflexions autour des principales thématiques et des grandes idées: abordées dans le son. Ensuite nous allons creuser d’éventuelles références lourdes de sens et posant des questions qui méritent d’être développées.

Nous allons d’ailleurs structurer l’analyse de cette façon avec d’abord le cœur du propos du texte, le ou les différents messages qui seront délivrés au public, à travers celui-ci. Puis ensuite nous allons développer des points plus précis à propos de certaines références clés.

Je rappelle que le but de ces analyses est de chercher à comprendre comment le public va réagir face aux messages, idées et opinions que le son va leur soumettre. Nous allons, ici aussi, faire des distinctions schématiques entre les différents groupes sociaux, car bien entendu le retour d’un membre du public dépendra de son positionnement dans la société, mais ces catégories resteront volontairement floues et simplistes afin que l’analyse reste simple et digeste,

Il est de mon devoir de reconnaître que certaines contributions personnelles risquent de se glisser dans l’analyse. Certaines de ces contributions peuvent être involontaires (comme dans toute étude même la plus formelle et la plus sérieuse), tandis que d’autres peuvent être volontaires si je trouve cela intéressant de réfléchir à une question donnée sous un angle précis (mais dans ce cas là le but ne sera pas d’imposer un point de vue).


À l’issue de cette analyse, Youm, tu seras bien entendu libre de me solliciter pour approfondir les réflexions autour d’une idée ou référence précise, si tu juges cela nécessaire. Ange, tu es bien entendu libre de lire cette analyse également si cela t’intéresse et, bien sur, de me solliciter selon un format plus ou moins personnel. On peut échanger entre nous librement ou mettre cela par écrit sous la forme d’une annexe à l’analyse.

L’analyse se basera exclusivement sur la transcription du texte étant donné qu’aucun clip n’a encore été réalisé pour ce son. L’analyse pourra éventuellement être complétée d’une annexe si un clip venait à exister un jour.

> Partie 1 : La (re)transcription du Texte.

> Premier Couplet <

Yo… Hey yo ! Hey yo !

Man c’est la crise, c’est pas chez oim qui viendront faire un MTV Cribs.

J’fuck le FN ma couille et j’le dis dans ma rime.

J’suis comme l’équipage de Luffy, ouais j’ai pas peur d’la marine.

Han ! Les racistes peuvent allez se pendre.

Mes potes s’appellent Mamadou, Mohamed ou bien Alexandre.

Ouais, Babylone a tué mes rêves, c’est cheum.

Babylone a tué mes reufs, c’est chaud.

J’y suis plus mais c’est mes frères, qui meurent dans ces tèces.

Crois pas que je blague, c’est mes couilles que j’mets dans mes textes.

Nous et eux, on voit plus la même téma.

Moi j’vois plus les keufs, mais ceux qu’on assassiné Adama.

Hannn ! La haine devient de plus en plus forte.

Ouais dans mon âme, y’a plus de noirs qu’à la Gare du Nord

Ouais ! Les mots sont goumés à la Youm.

Dit leur qu’dans l’esprit je vais craquer.

Arh arhhh…

> Deuxième Couplet <

Yo !

Sérieux moi pour l’humanité j’ai quasi plus d’espoir.

J’ai pleuré pour Charlie, mais eux pleurent t-ils quand on tue des noirs ?

[Je pense pas…] Ouais j’hésite entre un mic et un opinel.J’baiserai la vie jusqu’à la fin, comme Patrice Cabanel.

C’est vrai des fois hein, y’a de quoi être en bad trip.

Ici la haine de l’autre, elle, tourne comme une bonne grippe.

[Nan mais Youm t’abuses pas un peu là ?]

Chut ! Stop tes balivernes !

Tu penses à tes vacances d’été !

Moi j’me demande si j’passerai l’hiver.

Certains ont crié leur désespoir, mais personne n’a compris.

Quand un vendredi soir t’rappelle que personne n’est à l’abri.

Téma comment on s’exprime malgré nos parcours scolaires.

Hannn ! Les idées vastes comme le Système Solaire.

Sérieux moi j’sais plus ce qui est mal ou ce qui est good.

Pour eux, ouais ! Soit t’es peace ou soit t’es Abaaoud.

Ce monde l’ai déjà assez ! Arrêtes de faire le chaud !

Car j’apprécie ton rap comme une bière chaude !

Han ! Arh arhhh…

> Partie 2 : Les principales thématiques abordées dans le Texte.

> Première Idée : La haine réciproque.

La principale idée que l’on retrouve dans ce texte et qui peut même être considérée comme LE sujet abordé ici, c’est la haine de l’autre. Tout comme dans le film de Mathieu Kassovitz, La Haine bien sur, celle-ci est réciproque.

Elle est à la fois exercée par les blancs (ou le système, l’État, l’autorité, etc…) sur ceux considérés comme des étrangers ou des indésirables et par les noirs (ou les arabes, les immigrés, les défavorisés, etc…) sur ceux considérés comme des oppresseurs ou des privilégiés.

Le texte est structuré d’une telle façon, que l’on passe sans arrêt de la haine de l’un vers la haine de l’autre, dans un jeu de poule et d’œuf perpétuel. Néanmoins quand on se penche de plus prêt sur cette structure, on voit bien que Youm choisi de d’abord mentionner la haine des blancs et donc qu’il choisit implicitement de les désigner comme les premiers responsables de ce jeu dangereux, ceux ayant commencés à haïr l’autre. La manière dont il se positionne dans son texte oriente aussi le message vers ce parti-pris.

Ce que le texte va donc transmettre à son public c’est déjà la condamnation de cette haine mutuelle. Mais cela va au-delà de ça, car il s’agit aussi de parler de la difficulté à s’extraire de ce schéma, qui fonctionne comme une spirale sans fin et une boucle qui s’auto-entretient. Quand Youm parle de lui-même prit dans ce sentiment, il cherche à montrer qu’il essaye de ne pas rentrer dans ce jeu mais que la tentation est grande.

Enfin, plus subtilement, le message délivré est aussi celui des blancs comme premiers responsables de cette situation. À travers la manière dont Youm à tourner son texte, on comprend que c’est l’oppression exercée par la société sur les populations marginalisées qui a finit par en conduire certains à répliquer. On peut même pousser plus loin cette idée et faire le lien entre ce qui est développé dans le texte et le fait qu’actuellement l’autorité en place se sert de cette haine retour pour justifier la leur et ainsi donner raison à leur oppression (par exemple se servir d’un attentat faisant l’actualité pour stigmatiser une population).

Il est très intéressant de noter ici que c’est également la chute du film La Haine. En effet, pendant l’intégralité de celui-ci, le spectateur passe de la haine des uns vers la haine des autres, jusqu’à la fin où les personnages principaux (de la cité) rangent la leur et se font agresser par des policiers (blancs). Le message délivré par le film est donc clair, c’est bien les blancs qui sont à l’origine de la spirale infernale et qui relancent les hostilités.

C’est comme cela que le public va interpréter le texte en majorité et ce message sera reçu différemment en fonction du « camp » dans lequel la personne va se retrouver malgré elle.

Ceux qui sont du bon côté de la société, qui ont plutôt une bonne situation, les blancs pour caricaturer l’idée. Pour eux, le message sera une invitation à ne pas faire les mêmes erreurs, à s’ouvrir aux autres et à la différence, à comprendre la détresse de certaines populations et à transmettre ce point de vue.

Il est évident que le message sera limpide pour les individus déjà familiarisés avec ce genre de questions et ceux qui partagent déjà ce sentiment, notamment les sympathisants de gauche. Pour les individus les plus privilégiés, les plus bourgeois, ceux qui viennent des campagnes profondes, le message pourrait être plus difficile à saisir en revanche, il pourrait être mal interprété ou incompris. Quant aux sympathisants de droite, notamment de sa branche radicale, ils seront clairement en opposition avec le message du texte et avec ses valeurs, mais il est évident ici que le texte s’assoit sur les idéaux de ces individus et qu’il ne leur est pas destiné.

Pour les autres, ceux qui sont défavorisés, **de couleurs ou immigrés. Le message sera plutôt de **suivre l’exemple de Youm et de ne pas céder à la tentation de la haine, de faire la part des choses entre ceux véritablement responsables de cette situation et le blanc moyen qui n’est pas forcément un ennemi.

Là aussi il y aura une différence dans la réception de ce message. Avec d’une part les individus les moins affectés par cette oppression ou qui sont déjà en phase avec ces valeurs, pour eux ce sera une conclusion évidente à ce texte et le message passera sans problème. En revanche, pour les individus souffrant le plus de leur marginalisation ou repliés sur leur communauté, le message pourrait se heurter à une résistance certaine et là aussi être incompris ou mal interprété. Pareil tout individu radicalisé et soumis à ce texte, sera complètement hostile à son message, mais là encore on peut supposer que Youm ne cherche pas à rallier ces individus.

En conclusion, à propos de cette idée, on peut dire qu’ici Youm traite d’un sujet qui sera compris par la grande majorité de son public. Surtout que cette haine réciproque dont il est question dans le texte, est toujours un sujet assez brûlant dans l’actualité.

Bien que le message ne sera pas reçu pareil de part et d’autre de ces jeux d’oppresseurs et d’oppressés dans la société, celui-ci est fédérateur et chaque camp (à l’exception des radicaux fermés à l’idée) sera pleinement réceptif à ce message.

On peut ajouter ici que cette thématique est particulièrement chère aux yeux des sympathisants de gauche et de la bourgeoisie cultivée et bien pensante.Ce sont des catégories qui apprécieront particulièrement ce message,. en général les mêmes qui ont aimés le véritable message derrière le film La Haine.

> Deuxième Idée : La communauté du ghetto.

Une autre thématique que l’on retrouve en filigrane, tout au long de ce texte de Youm, est celle ,du ghetto et de l’appartenance communautaire. Celle-ci a un double sens ici, car à la fois il s’agit de la marginalisation de certaines populations, de la misère, de la cité, bref un sens plutôt péjoratif lié à des conditions de vie difficiles, qui sont donc dénoncées ici. Mais il s’agit en même temps des amis, de la famille, des « reufs », de ce sentiment d’appartenance à une communauté, à un groupe soudé autour de la même galère et prise dans ce sens là, cette thématique à un sens plutôt mélioratif

La notion de ghetto a ici un sens large, car il s’agit en fait dans le texte de la société en général et de la pression qu’elle exerce sur les individus en bas de l’échelle sociale. Cela fait également allusion à la discrimination omniprésente dans la société, qui va conduire des populations entières à être marginalisées et donc à être dans le bas de cette échelle. Mais il s’agit aussi du ghetto au sens littéral, à la cité, dont il est fait allusion plusieurs fois. Cette notion peut donc être rattachée à celle de la misère en général, mais cette misère est ici davantage sociologique et généralisée à des populations entières, plutôt qu’à un individu spécifiquement. Il ne s’agit pas de la détresse d’un individu, mais de tout un groupe social partageant des caractéristiques communes discriminées par la société.

La notion de communauté a également un sens assez vaste. Elle peut autant faire référence aux proches de Youm, voir aux membres de son public appartenant aux groupes sociaux sollicités par cette thématique du texte. Comme elle peut faire référence à une communauté d’individus réunis autour de cette même galère, celle d’être du mauvais côté de la société et partageant des valeurs communes. Cela peut être les populations immigrés de France, comme les habitants des cités ou encore les populations pauvres en général.

En fait, on peut considérer que Youm laisse ici volontairement un certain flou entourer cette thématique, afin que le public le plus large possible puisse se sentir concerné par les propos du texte et s’identifier aux valeurs qu’il défend. Un public assez large va donc être touché par les propos développés ici. N’importe quel individu, habitant des cités ou non, d’origine immigrée ou non, tant qu’il fait partie d’une population défavorisée ou qu’il est sympathisant du message dont il est question ici, pourra se retrouver dans les paroles de Youm.

Néanmoins, il est évident que les populations immigrées et les habitants des quartiers, sont les premiers visés ici dans ce texte. En effet Youm glisse plusieurs dédicaces explicites à leur encontre, ce qui va forcément conduire les individus concernés à être fédérés en priorité autour de ses paroles.

On peut donc attribuer deux fonctions, à cette grande thématique développée dans le texte, à l’image du double sens qui l’anime. La première est la condamnation d'un certain modèle social, basé sur une hiérarchie discriminatoire entre les individus. et se concrétisant par une haine forte devenant progressivement réciproque. C’est un peu l’explication donnée et le coupable désigné, à la première des grandes idées du texte, que l’on a déjà développée.

La deuxième, plus simple, vise simplement à toucher un public large et à fédérer celui-ci autour de Youm, qui parle de toutes ces questions personnellement, en montrant qu’il est lui aussi prit dans ces difficultés. L’idée est un peu différente que le sentiment de « team », que Youm essaye de provoquer chez son public, dans son texte l’Escarmousse. Car ici il est beaucoup moins intime dans sa manière de communiquer avec son public, il est plus question d’appartenance à une communauté, plutôt qu’à un groupe, une équipe, qui relève d’une dimension plus précise et personnelle.

> Troisième Idée : La dimension personnelle.

Enfin, la dernière des grandes idées que le public va retrouver tout au long du déroulement de ce texte en écoutant ce son, c’est Youm parlant de lui-même et de sa propre condition.

Que cela fasse écho à la première thématique, celle de la haine, ou à la deuxième, celle de la communauté, Youm va faire état, tout au long de son texte, de ce qu’il vit ou de ce qu’il pense. Cela va même plus loin car il fait également référence à sa qualité de rappeur, un peu comme dans son texte l’Escarmousse, sauf qu’ici ce n’est pas le message central du texte.

En ce qui concerne l’idée de la haine, il est évident que Youm parle de ce qu’il ressent et qu’il se positionne en acteur et pas seulement en spectateur de ce sentiment, afin d’ajouter de la profondeur à son message et apparaître comme plus crédible aux yeux de son public.

Pour la thématique de la communauté, du ghetto et de ce qui tourne autour de ces notions, Youm s’inclut lui-même dans celle-ci pour davantage fédérer son public. Le but est de montrer à ceux qui l’écoutent qu’il vit dans le même monde et qu’il traverse les mêmes galères qu’eux. Cela renforce le sentiment qu’il existe une communauté reliant Youm et son public, qui va du coup adhérer plus facilement au message transmis par le texte.

Puis, les références plus personnelles, celles sur sa qualité de rappeur ou même sur certains aspects de sa personnalité, on peut dire qu’elles remplissent des fonctions diverses. D’une part cela crée une continuité entre d’autres sons qu’il a produit et celui-là, on retrouve en effet des notions développées dans l’Escarmousse par exemple et d’autre part cela rattache le texte à certains codes et à certaines normes de la musique rap.

Le texte ne sort ainsi pas trop des clous et Youm parvient, à travers ça, à se créer une sorte de marque de fabrique. En utilisant des références présentes dans ses autres sons et en réutilisant des expressions bien à lui, il va se créer une sorte de signature propre que le public va retrouver à chaque nouveau son écouté et auquel il va s’attacher. C'est une manière, pour lui, de fidéliser son public.

Quant à la volonté de fédérer le public et d’avoir une certaine crédibilité à parler des sujets dont il est question dans le texte, le but est évident, il s’agit de conquérir le public en ayant l’air authentique et sincère à ses yeux, des notions dont le public qui écoute du rap aujourd'hui est très demandeur. Il s’agit d’une question centrale dans l’Escarmousse, alors qu’ici, il est plutôt question de quelque chose de secondaire, bien que cela soit présent également.

> Partie 3 : Réflexions autour de certaines références clés.

A. Références liées à la thématique de la haine réciproque :

> A1. - J’fuck le FN ma couille et j’le dis dans ma rime.

Je m’attarde ici sur cette référence, que l’ensemble du public va saisir sans problème, bien que ce parti politique d’extrême-droite s’appelle aujourd’hui le Rassemblement National et non plus le Front National comme avant.

Cette référence est plus importante qu’il n’y paraît car elle permet de clairement tracer une frontière entre les individus en opposition avec les valeurs défendues par Youm et à qui le texte n’est du coup clairement pas dédié et les individus opposés à ceux-là, le public visé, que le texte tente de fédérer.

C’est astucieux, car le public exclu ici n’en aurait de toute façon pas été un, car peu de gens d’extrême-droite écoute du rap et encore plus ce type de rap et en plus le texte est en opposition avec les valeurs de ces individus. En retour, le public va clairement pouvoir se retrouver autour de cette opposition avec ces idéaux pointés du doigt ici.

> A2.- Han ! Les racistes peuvent allez se pendre.

Alors l’idée est ici un peu la même que pour la référence juste au-dessus et pareil le public n’aura aucun mal à en saisir le sens.

C’est complémentaire avec la référence sur le Front National, sauf qu’ici au lieu d’attaquer les adhérents à un parti politique donné, on va attaquer ce qui ne convient pas à Youm dans leurs idéaux. C’est clairement dit ici, c’est le racisme, la haine de l’autre et on retrouve ce qui est condamné dans le texte.

Les racistes ne sont donc clairement pas les bienvenus dans la team de Youm, mais les opposants au racisme, en revanche, eux le sont et on retrouve l’idée du dessus.

> A3.- Moi j’vois plus les keufs, mais ceux qu’on assassiné Adama.

Toujours dans la même idée, mais plus subtil cette fois. Les « keufs » désignant la police en général, sont ici pointés du doigt car connus pour être souvent racistes et agressifs envers les minorités, en France, mais pas que.

C’est un peu le bras armé du système social discriminatoire dénoncé dans le texte et c’est donc logique qu’ils soient attaqués ici par Youm. Le public n’aura globalement aucun mal à saisir ici ces propos.

Bien que certaines personnes (dans le public visé par le texte) ont une opinion bienveillante envers la police, le public ne sera globalement pas hostile aux propos de Youm car il est courant dans la musique rap de s’en prendre à la police et celui-ci oriente bien son propos vers le racisme et l’abus de pouvoir dans la police, unilatéralement dénoncé au sein du public visé par le texte.

> A4.- Moi j’vois plus les keufs, mais ceux qu’on assassiné Adama.

Youm développe ici, l’idée dont on a parlé au-dessus, à propos de la police. Sauf que cette foisil mentionne directement le cas d’une agression, par des membres des forces de l’ordre, d’un individu issu des minorités.

Il est ici question d’Adama Traoré, mort à la suite de son interpellation par des gendarmes, à Persan (95), le 19 juillet 2016. Sa mort fut très médiatisée et la responsabilité des gendarmes dans la mort du jeune homme de 24 ans est admise sans être reconnue officiellement par les autorités.

Bien que l’affaire date de plusieurs années maintenant, elle reste encore aujourd’hui très connue du public et un symbole sur la question des violences policières. Une très grande majorité du public saisira ici la référence du coup.

> A5.- Hannn ! La haine devient de plus en plus forte.-

> A6.- Ici la haine de l’autre, elle, tourne comme une bonne grippe.

Il n’est pas vraiment ici question d’une référence, mais des deux moments où Youm explicite directement son propos, au sujet de la haine de l’autre qui tourne dans la société dans un jeu de va et vient permanent.

Chacune de ces phrases se trouve dans un couplet différent et elles sont importantes à souligner car il s’agit sûrement des phrases les plus lourdes de sens dans le texte. Mises ensemble on comprend que cette haine est réciproque et qu’elle s’auto-entretient comme prise dans une spirale permanente.

Ce sont des mots forts qui toucheront sans aucun doute le public.

> A7.- J’ai pleuré pour Charlie,- mais eux pleurent t-ils quand on tue des noirs ?

Toujours dans cette thématique de la haine, mais cette fois ci on change de camp, à travers cette référence au premier des attentats qui marqua fortement l’opinion public français entre les années 2015 et 2020.

Il s’agit de l’Attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo, datant du 7 janvier 2015 et ayant eu lieu à Paris. Deux combattants islamistes radicaux étaient alors entrés dans les locaux du journal et avait fusillés plusieurs journalistes et membres du personnel, après que le journal ait publié des caricatures du Prophète Mahomet, alors que l’Islam interdit de le représenter et surtout pas dans des postures peu honorables.

Cet attentat reste encore fortement ancré dans la mémoire collective, plus de six ans après, donc le public n’aura aucun problème à comprendre cette référence. En revanche, Youm pointe du doigt ici, à la fois l’attentat et le fait que cet acte fut beaucoup plus dénoncé dans la société française que les actes de haine perpétrés envers des individus provenant de minorités. Une partie du public ne saisira peut-être pas ici la profondeur du propos, mais pour l’essentiel de l’idée, il ne devrait pas y avoir de problème.

> A8- Quand un vendredi soir t’rappelle que personne n’est à l’abri.

On reste exactement dans la même idée qu’au-dessus, sauf qu’ici il ne s’agit plus du même attentat.

Youm fait référence ici aux attentats du vendredi 13 novembre 2015. Une série d’opérations de l’État Islamique (un célèbre groupe terroriste islamiste) à Paris avait conduit à la mort de 131 personnes et 413 blessés furent également déplorés. C’est le plus terrible des attentats survenus en France au cours de cette période et celui qui a le plus terrorisé la population française.

Le public n’aura donc aucun mal à comprendre cette référence et la puissance de celle-ci. Ce n’est pas une coïncidence si l’acte isolé ayant fait le plus de victimes fut ici utilisé par Youm pour montrer que tout le monde peut être touché par la haine présente dans la société. Si l’attentat contre Charlie Hebdo est une référence symbolique, les attentats du 13 novembre 2015 sont une référence beaucoup plus forte pour le public, qui n’y sera pas insensible. Un certain sentiment de choc est provoqué chez le public ici.

> A9– Pour eux, ouais ! Soit t’es peace ou soit t’es Abaaoud.

Toujours la même idée et cette fois également le même attentat.

Il est en effet question ici d’Abdelhamid Abaaoud, souvent considéré comme étant le commandant opérationnel des attentas du 13 novembre 2015 à Paris. La figure typique, presque caricaturale, du terroriste islamiste.

Si la référence est la même qu’au-dessus, ce nom est moins connu du public, surtout depuis qu’il est sorti de l’actualité. Une partie de celui-ci ne saisira donc peut-être pas de qui il est question ici, alors que le vendredi soir, bien que vague, ne peut pas faire référence à autre chose qu’à ces attentats.

B. Références liées à la thématique de la communauté du ghetto :

> B1- Man c’est la crise, c’est pas chez oim qui viendront faire un MTV Cribs.

Je m’attarde ici sur cette expression car on peut se demander pourquoi est-ce qu’on dit ça après tout ?

En fait depuis la crise économique de 2008, les conditions de vie sont restées difficiles en France et dans le reste du monde. De multiples facteurs viennent sans cesse perpétuer cette situation de tension et ce constat est encore plus valable depuis l’arrivée de la Pandémie de COVID-19 au début de l’année 2020.

Cette situation a finit par durer tellement longtemps que l’expression « la crise » est rentrée progressivement dans le langage courant pour faire référence, de prêt ou de loin, à la conjoncture socio-économique difficile dans laquelle on se retrouve plongé perpétuellement. C’est comme cela que le public interprétera cette expression ici.

> B2- Ouais, Babylone a tué mes rêves, c’est cheum.

> B3- Babylone a tué mes reufs, c’est chaud.

Il est toujours ici question de la société et de l’oppression de celle-ci sur les individus qui la compose, à travers une expression la désignant.

Au départ, symbole chrétien de la corruption et de la décadence, conduisant l’humanité à sa perte. Babylone est ensuite rentrée dans la culture rastafari qui fait le lien entre celle-ci et le monde occidental et la société actuelle qui va avec. Petit à petit le symbole s’est ensuite retrouvé dans la musique reggae et ensuite dans d’autres musiques, y compris le rap.

C’est donc aujourd’hui, dans la culture populaire, le symbole des travers de la société actuelle et d’un système socio-économique à la dérive, considéré comme oppressant la population et menant l’humanité à sa perte. Une grande majorité du public connaît cette référence et l’interprétera de la sorte.

> B4- J’y suis plus mais c’est mes frères, qui meurent dans ces tèces.

Ici on est centré plus précisément autour du ghetto pris au sens littéral.

En effet, les « tèces », c’est à dire les cités, désignent des quartiers ou des villes entières, ayant pour caractéristiques communes d’accueillir les minorités, souvent pauvres et immigrées. Elles sont d’autant plus ancrées dans l’imaginaire collectif, car elles ont pour la plupart été construites à la même époque, dans les années 60 et 70, avec une architecture cubique et fonctionnelle caractéristique. C’est ce qu’on appelle les grands ensembles et ils sont généralement constitués de logements sociaux dit « HLM ».

Il est intéressant de préciser que si aujourd’hui cet urbanisme et ses caractéristiques sont généralement associés aux minorités ethniques, c’est aussi l’habitat de tous les pauvres de France, même ceux qui n’ont pas d’origines immigrées. Ce n’est pas pour rien que le célèbre chanteur français Renaud leur dédia une chanson, ces quartiers sont en effet les successeurs des antiques villes ouvrières du XIXème siècle.

En parlant de « tèces », Youm ne s’adresse pas qu’aux minorités ethniques, mais à tous les pauvres de France et pour ceux qui ne le sont pas, cela fait écho à la misère que beaucoup dénoncent. Un public très large sera touché par cette référence, pas que celui qui habite dans ces quartiers.

> B5- Ouais dans mon âme, y’a plus de noirs qu’à la Gare du Nord.

On reste ici exactement dans la même idée que développé au-dessus, sauf qu’il s’agit ici d’une dédicace précise à un lieu donné.

La Gare du Nord à Paris, est le lieu d’arrivée et de départ du RER B (son tracé nord). Ce train de banlieue dessert en effet le célèbre département de la Seine-Saint-Denis (93), connu pour abriter nombre de ces cités, dont nous venons de parler et peuplé en grande majorité par des populations pauvres et immigrées.

On est donc totalement dans la même idée qu’au-dessus et le train fait référence au travail, à cette aller et venue quotidienne du prolétariat français, sauf qu’ici Youm fait une dédicace précise à la zone de France symbolisant le plus son propos. Comme la Seine-Saint-Denis n’est pas mentionnée directement, les habitants des provinces auront ici plus de mal à saisir la référence. C’est donc une dédicace spéciale qui est faite au peuple d’Île-de-France, qui sera touché en priorité par cette référence.

> B6- Ici la haine de l’autre, elle, tourne comme une bonne grippe

Cette comparaison entre la haine et une maladie infectieuse est intéressante car elle souligne le caractère contagieux de celle-ci. Dans le film La Haine de Kassovitz, un des personnages utilisent l’expression « la haine attise la haine » et c’est exactement ce que Youm cherche à exprimer en effectuant cette comparaison.

Si l’expression aurait été limpide pour le public quelque soit le contexte, je pense qu’elle l’est encore plus en ces temps de pandémie. L’association entre les deux idées est facile, mais trouver des liens entre le texte et le contexte actuel a son intérêt.

> B7- Téma comment on s’exprime malgré nos parcours scolaires.

À travers cette rime, Youm fait référence à la marginalisation de certaines populations dans le pays et on rejoint ainsi la question de cette société discriminatoire dans laquelle on vit.

Si le système scolaire français est de toute façon particulièrement mauvais, il est en plus très inégalitaire. C’est à dire qu’il y a un monde séparant la scolarité des enfants et des adolescents des quartiers et des régions pauvres, par rapport à celle dans les zones aisées et bourgeoises. Il ne s’agit pas que d’une différence entre les établissements publics et les établissements privés, cette différence est carrément prononcée au sein même du secteur public.

Le système de répartition des enseignants dans les différents établissements du pays renforce ces inégalités avec les bons enseignants envoyés dans les zones favorisées et les mauvais enseignants envoyés dans les zones défavorisées. À titre d’exemple personnel, je n’ai fais qu’une vague sortie scolaire à Paris de toute ma scolarité au lycée, en banlieue, pendant que ma cousine à Aix-en-Provence faisait de multiples voyages scolaires à l’international, bien que son lycée était public comme le mien.

Si le public en général saisira ici le sens des propos de Youm, tout le monde n’a pas le bagage sociologique suffisant pour en comprendre la profondeur, ce qui n’est pas forcément un problème.

> B8- Pour eux, ouais ! Soit t’es peace- ou soit t’es Abaaoud.

À première vue, cette utilisation du mot « peace » est toute bête et simplement là pour désigner un individu au tempérament pacifique comparé à ceux ayant un tempérament belliqueux. L’idée que Youm voulait exprimer ne va peut-être pas plus loin que ça ici, mais si on se penche davantage sur pourquoi on le dit comme ça, que quelqu’un est « peace », c’est un peu plus compliqué que ça.

L’expression vient de la célèbre formule « peace and love », démocratisée après être née avec le mouvement hippie dans la seconde moitié du XXème siècle. On peut voir cela comme une sorte de slogan prônant une manière pacifiste de faire humanité et de régler les différents entre les êtres humains.

Remis dans le contexte de la phrase, cela fait donc totalement sens car c’est justement ça que Youm oppose à une manière agressive de régler nos différents, la méthode abaaoud consistant simplement à prendre les armes pour tuer les gens avec qui on est pas d’accord. Que le public le prenne au sens simple ou au sens profond, il comprendra de toute façon ce que Youm exprime ici, mais c’est intéressant de voir qu’il est possible de creuser notre réflexion autour d’un mot, à l’apparence pourtant anodine.

C. Références liées à la thématique de la dimension personnelle :

> C1- Nous et eux, on voit plus la même téma.

Ces mots touchent en fait aux trois grandes idées développées dans le texte et dont on a parlé dans notre partie précédente. On retrouve ici en fait, une sorte de condensé de la totalité des propos du texte.

C’est tout d’abord, l’opposition entre les deux camps qui se haïssent respectivement, le « nous » désignant les minorités discriminées, tentées de répliquer et le « eux » désignant les oppresseurs au sens large, qui haïssent par racisme systémique. Mais c’est aussi une manière pour Youm de créer, avec ce « nous », cette communauté partageant les mêmes galères et les mêmes valeurs et par la même occasion de montrer son appartenance à celle-ci.

Aucun problème vis à vis de la compréhension du public avec cette formulation, mais il était intéressant de noter que ces mots délivrent à la fois, les trois principaux messages du texte.

> C2- J’baiserai la vie jusqu’à la fin, comme Patrice Cabanel.

On entre ici dans le registre de la signature, avec cette référence pornographique qui permet à Youm de raccrocher son texte avec ses autres sons, tout en donnant une image de lui-même, choisit spécifiquement pour être présentée à son public.

Patrice Cabanel est un réalisateur de film pornographique français, né en 1957 et mort en 2005, alors encore très actif. Il fut particulièrement productif entre la fin des années 90 et le début des années 2000.

Cette référence permet à Youm de créer une continuité entre ce texte et les autres, de donner des points de repères à son public. Dans son texte l’Escarmousse, il se présente comme un gros consommateur de porno, cela y fait par exemple écho.

C’est une référence très personnelle car très liée à la génération de Youm. Ce réalisateur ayant été actif, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, seuls les gens de sa génération pourront saisir cette référence. Les autres, consommateurs de porno ou non, seront soit trop jeunes, soit trop âgés pour saisir exactement qui est ce Patrice Cabanel. Youm fait donc ici une dédicace aux gens de sa génération, âgés d’environ une trentaine d’années, alors que les plus jeunes seront complètement largués en ce qui concerne ce personnage.

> C3- Car j’apprécie ton rap comme une bière chaude !

On reste ici exactement dans la même idée qu’au-dessus. Sauf que cette fois ci c’est une référence que tout le monde pourra comprendre, y compris ceux qui ne connaissent pas les autres sons de Youm.

En effet, pour ceux qui ne connaissent pas ses autres sons, cette expression sera prise au sens littéral. Mais pour les autres, on rentre dans le même registre que pour la référence précédente et le lien entre les différents sons à travers un registre commun est fait ici.

La « bière chaude » fait écho au son l’Escarmousse, qui a une symbolique tournant autour de la bière. C’est très évident dès que l’on connaît également cet autre texte.

> Conclusion :

Grâce à ce nouveau format d’analyse, nous avons pu synthétiser les propos de Youm dans ce texte en trois thématiques principales, ou trois grandes idées. Cette synthèse, de ces différents messages concomitants, a ensuite été complétée par des réflexions autour de certaines références importantes et lourdes de sens dans le texte.

La première de ces grandes thématiques est celle de la dénonciation d’une haine réciproque et perpétuelle, entre les oppresseurs et les oppressés, dans la société. On a notamment vu que Youm se positionne en acteur dans cette spirale infernale, pour mieux montrer qu’il est difficile de s’en extraire et insister sur le caractère globale et intriqué de cette haine dans la société actuelle.

La deuxième idée est celle de la dénonciation de la misère des populations marginalisées en France, que Youm essaye de rassembler autour de valeurs communes, pour en quelque sorte faire front, grâce à un sentiment d’appartenance communautaire et ainsi fédérer son public.

Enfin, la dernière idée, est celle de la place que Youm se donne dans tout ça et de la place qu’il donne à ce texte dans le reste de ses productions musicales en général. On a vu que cette thématique sert surtout à paraître crédible aux yeux de son public, à le fédérer autour de valeurs communes à l’ensemble de celui-ci et à le fidéliser grâce à une marque de fabrique que le public peut retrouver en filigrane dans tous ses sons.

Ce texte prend donc un ton sérieux, car il parle de sujets difficiles, qui toucheront l’ensemble du public susceptible d’écouter le rap de Youm. On est face à un rap à la signification profonde, car il s’attaque à d’importants problèmes sociaux de la société française actuelle. Ce type de rap se fait assez rare aujourd’hui et une partie des consommateurs de rap cherche à effectuer ce retour aux sources en ce moment, lassés par le rap contemporain, très orienté développement personnel et glorification de la réussite individuelle.

Youm cherche donc à se démarquer du rap commercial, celui que l’on entend aujourd’hui à la radio et sur les chaînes de clips musicaux à la télévision par exemple, pour effectuer un retour vers un rap plus sérieux, qui s’attaque à des questions dures et qui, d’une certaine façon, « ose dire les choses ».

Dans la mesure où une grande partie des consommateurs de rap aujourd’hui commencent à sérieusement se lasser de la tendance du moment, on peut supposer que Youm peut séduire un assez large public avec ce texte. De plus, les propos développés dans celui-ci sont cohérents avec ceux de son texte l’Escarmousse, ce qui renforce la crédibilité de son discours en général, qui a l’air plus authentique et sincère.

Auteur : Thomas Kalensky

Autres articles :